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GETMA INTERNATIONAL, NCT Necotrans, GETMA INTERNATIONAL INVESTISSEMENTS, NCT INFRASTRUCTURE & LOGISTIQUE ET LA REPUBLIQUE DE GUINEE

Dans cette affaire, le tribunal CIRDI a rendu sa sentence qui a été notifiée aux parties le 16 août 2016. Après une sentence CCJA qui portait sur les conséquences de la résiliation par l’Etat Guinéen de la Convention de concession qui avait été attribuée à Getma, le Tribunal CIRDI a eu à se prononcer sur les allégations de violations des droits des investissements guinéen et international qu’avait entrainés cette résiliation. La République de Guinée, défenderesse, y est condamnée pour non respect de son Code des investissements et des standards minimaux du droit international. Il est intéressant de noter les rapports entre les deux sentences et la coopération entre juges CCJA et CIRDI dans le traitement d’une procédure, dont une part relève de la compétence d’un autre tribunal arbitral.

En 2008, à l’issue d’une procédure d’appel d’offres, le gouvernement de la République de Guinée et Getma International (ci-après « Getma ») ont signé une Convention de mise en concession du Terminal à conteneurs du Port Autonome de Conakry (ci-après « PAC »), son extension et l’aménagement d’un espace de la gare ferroviaire.

Le PAC a régulièrement exprimé des critiques vis-à-vis de la Convention. En janvier 2009, son Conseil d’administration a voté « l’annulation pure et simple de la convention ».

Suite à une suspension puis renégociation de la Convention, un Avenant n°1 a été signé en novembre 2009 entre les Parties. Les travaux ont alors commencé.

En 2010, l’élection d’un nouveau Président de la République en Guinée, en la personne de Monsieur Alpha Condé a entraîné un changement de gouvernement. Ce changement de gouvernement a donné lieu, début 2011, à de nouvelles discussions au sujet de la Convention de la concession signée avec Getma.

En février 2011, après une réunion du Comité d’Audit du PAC, son Conseil d’administration a relevé dans son procès-verbal des critiques sur les aspects juridiques, techniques, financier et d’exploitation de la Convention et y « sollicité des plus hautes autorités du Pays [s]a résiliation pures et simple ». Le Ministre d’Etat a alors été informé de cette recommandation du Conseil d’administration du PAC.

Le 8 mars 2011, le Président de la République de Guinée a pris le décret D/2011 071 par lequel la Convention de concession et l’Avenant n°1 étaient « résiliés pour manquement aux obligations du Cessionnaire […] avec effet immédiat […] ». Le lendemain, un autre décret présidentiel a été adopté « portant réquisition des personnels, installations, immeubles et actifs […] » de Getma International et de sa filiale guinéenne la STCC, pour une durée de 60 jours. Le même jour Getma a envoyé au gouvernement guinéen une lettre dans laquelle elle indiquait que la résiliation constituait un « changement de Loi et Acte de la puissance publique entravant le bon fonctionnement des Activités Concédées » au sens de la Convention de concession. Getma indiquait par ailleurs que le délai de 60 jours pour remédier aux conséquences de la résiliation commençait à courir.

Le 10 mai 2011, Getma a déposé une demande d’arbitrage auprès de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (ci-après « CCJA ») sur la base de la clause d’arbitrage contenue dans la Convention de concession.

La « Levée de la Réquisition des Personnels, Installations, Immeubles et Actifs » de Getma et la société STCC a été faite par un décret du 22 juin 2011.

Le 29 septembre 2011, sur fondement de la Convention CIRDI ainsi que sur celui du Code des investissements de la République de Guinée, Getma ainsi que plusieurs autres sociétés de son groupe, ont introduit une requête en arbitrage auprès du CIRDI contre la République de Guinée.

Une fois le tribunal constitué et l’instance engagée, le tribunal arbitral CIRDI a suspendu sa procédure jusqu’au prononcé de la sentence CCJA. Celle-ci a eu lieu le 29 avril 2014. Le Tribunal arbitral statuant sous l’égide de la CCJA y a dit « irrégulière la résiliation [de la Convention de Concession] » et sur cette base a condamné la République de Guinée. Cette sentence a cependant été annulée le 30 novembre 2015 par la CCJA au motif « que le tribunal arbitral ne s’est pas conformé à sa mission en ignorant délibérément les dispositions impératives du règlement d’arbitrage, qui interdisent les accords entre parties et arbitres sur le montant de leurs honoraires ».

Le 16 août 2016, la sentence CIRDI a finalement été notifiée aux parties.

Il nous semble intéressant de voir comment le Tribunal CIRDI a tenu compte de la procédure arbitrale CCJA, puis de l’annulation de la sentence qui avait été rendue. Le tribunal arbitral CIRDI a en effet considéré dans son examen du litige, la procédure arbitrale qui s’est déroulée devant le tribunal arbitral CCJA, tant pour retenir sa compétence (I) que sur le fond s’agissant de l’examen des points soulevés en rapport avec l’annulation de la sentence arbitrale CCJA (II) que de la réparation due au titre de la condamnation (III).

I. Compétence complémentaire et réaffirmation de la distinction entre contract et treaty claims 

En rendant, le 29 décembre 2012 sa sentence sur la compétence, le tribunal arbitral CIRDI a considéré que la saisine de la CCJA n’implique pas la renonciation de Getma International à la compétence CIRDI. Le tribunal a en effet retenu sa compétence, estimant qu’elle résultait du Code des investissements en ces termes « Pour autant que la compétence CIRDI n’ait pas été exclue, ce Tribunal est en principe compétent pour trancher les différends relatifs à l’application et l’interprétation du Code des investissements. Dans la mesure où un acte de l’Etat constituerait à la fois une violation du contrat et une violation du Code des investissements, il y aurait alors compétence parallèle des deux tribunaux » (para 108 sentence). Le Tribunal a ainsi écarté l’argument de l’Etat guinéen qui estimait qu’il fallait en l’espèce faire application de la doctrine de la « fork in road ». La doctrine de la « fork in the road », a précisé le tribunal, ne s’applique qu’en cas de compétences concurrentes, ce qui n’est pas le cas ici (para. 128 sentence). En effet, le tribunal arbitral CIRDI a jugé qu’il avait une compétence complémentaire (et non concurrente) à celle du tribunal arbitral statuant sous l’égide de la CCJA, compétence basée sur le Code des investissements.

Concernant son champ de sa compétence, le tribunal CIRDI a décidé qu’il « n’est pas compétent pour se prononcer sur les effets de la résiliation de la Convention de concession (…) [mais qu’il est uniquement] compétent pour se prononcer sur les effets de la réquisition et autres violations alléguées du Code des investissements n’entrant pas dans le cadre de la Convention de concession (…) » (voir point IX. DECISION).

En se prononçant de la sorte, le tribunal confirme ainsi la distinction bien connue de la jurisprudence arbitrale entre contract et treaty claims  « Contrairement à ce que prétend la Défenderesse, le fait que l’ensemble des litiges découlant de la Convention doive être soumis à un tribunal CCJA, quels que soit leur nature ou fondement juridique invoqué par les parties (…), ne démontre pas que la Clause compromissoire s’applique aussi aux (ou à tous les) différends relatifs à l’application et l’interprétation du Code des investissements et exclut la compétence CIRDI. La Défenderesse tente ainsi de faire un amalgame entre les contract claims et les treaty claims (…) et nie le fait qu’un même acte peut constituer à la fois une violation d’une obligation contractuelle et une violation du Code des investissements, et le cas échéant être soumis à deux juridictions différentes » (para. 106 sentence).

Le tribunal se déclare par conséquent compétent, mais uniquement si le « (…) concessionnaire estime qu’un Acte de la Puissance Publique constitue une violation du Code des investissements et a entrainé des conséquences dommageables autres que [celles de] la résiliation de la Convention » (para.125 sentence). A ce titre, il estime que les demandes basées sur la Convention de concession ne sont pas de sa compétence : « Le champ d’application de la compétence de Tribunal ne comprend donc pas les litiges découlant de la Convention de concession, y compris sa résiliation, même à la suite d’un Acte de la Puissance Publique. (…) ». Cette position du tribunal arbitral en l’espèce découle d’une disposition de la Convention de concession (32.5) qui a intégré dans son champ et, par conséquent, dans la clause arbitrale CCJA, la résiliation de ladite Convention comme conséquence d’Actes de la Puissance Publique : « Dans la mesure où la résiliation est consécutive à un Acte de la Puissance Publique, l’article 32.5 « contractualise » les Treaty claims, [qui] par voie de conséquence doivent être soumis au Tribunal CCJA conformément à la ( …) Convention ». (para.123 sentence).

Il nous semble intéressant de noter ici, qu’en raison de la contractualisation faite par les Parties des effets des Actes de la Puissance Publique, graves par nature selon le Tribunal, la gravité de la résiliation ne peut être utilisée ici pour fonder sa compétence. C’est un fondement qui a pu être utilisé par les parties à un arbitrage CIRDI pour justifier la compétence du tribunal et se prévaloir de la protection du droit international, en particulier conventionnel. Il y est ici fait obstacle du fait de cette contractualisation

II. L’examen par le tribunal arbitral des points soulevés par le tribunal arbitral par référence à l’annulation de la sentence CCJA

Le tribunal ayant clairement délimité sa compétence, la question de la juridiction était donc supposée définitivement tranchée ; pourtant, le tribunal est revenu sur cette question dans la sentence au fond, en rapport notamment avec la sentence rendue par le tribunal arbitral statuant sous l’égide de la CCJA.

Le premier point examiné par le tribunal était relatif aux allégations de corruption et de fraude faites par la Défenderesse. Le Tribunal CCJA, s’était prononcé sur le sujet. Pourtant, le tribunal CIRDI a décidé que « l’obligation de ce tribunal arbitral à vérifier l’allégation de corruption prime sur son respect de la sentence du tribunal CCJA et même sur l’éventuel effet de res judicata de cette sentence. Ceci est a fortiori le cas après l’annulation de la sentence CCJA (même si elle a été décidée pour un motif qui ne concerne pas la décision du Tribunal CCJA sur la corruption) » (para.178 sentence). Le tribunal a donc examiné ces allégations de corruption, lesquelles, si elles étaient avérées, l’auraient poussé à se déclarer incompétent au motif que seuls les investissements légaux et réalisés dans la bonne foi sont protégés par l’arbitrage CIRDI. Après examen, le tribunal a rejeté les allégations comme non prouvées « de manière claire et convaincante » (para. 312 sentence).

Le deuxième point examiné par le tribunal concernait l’interprétation de la première sentence sur la compétence du tribunal CIRDI vis-à-vis des effets de la résiliation de la Convention (contract claims) au regard de l’annulation de la sentence CCJA. De manière constante, le tribunal CIRDI affirme son incompétence vis-à-vis des contract claims : « Le Tribunal arbitral estime [que ] (…) l’annulation ne peut donner à ce Tribunal arbitral une compétence qu’il n’a jamais eue. Sa compétence n’en est pas une par défaut, mais concerne exclusivement les violations du Code des investissements à l’exception de celles qui ont été contractualisées. Ainsi, les litiges découlant de la Convention et de sa résiliation demeurent de la compétence d’un Tribunal CCJA (…). L’annulation de la sentence CCJA ne peut donner à ce Tribunal arbitral une compétence qu’il n’a jamais eu » (para. 344 et 347 sentence).

Le tribunal a ensuite pris position sur le possible déni de justice que constituait son refus d’étendre sa compétence aux contract claims. Le tribunal s’est divisé sur cette question et une opinion dissidente a été émise par l’un de ses membres. Suivant l’opinion dissidente de cet arbitre, le tribunal arbitral aurait dû revoir sa décision sur la compétence en raison du risque de déni de justice causé par la perte de confiance dans la CCJA des demanderesses, combiné au devoir de loyauté, de respect du droit à un procès juste et équitable, ainsi que celui d’accès effectif à la justice, qu’a le Tribunal arbitral envers les Parties : « (…) il apparait que les circonstances de l’affaire, suite à l’annulation de la sentence CCJA, imposent l’application du principe rebus sic stantibus, lequel vient tempérer les potentiels effets du principe de res judicata s’agissant de la Décision sur la compétence (…), il n’est pas possible de conclure simplement, que les Demanderesses peuvent initier un autre arbitrage devant une institution qui n’a plus la confiance des Parties quant à leur garanties procédurales fondamentales. Contrairement à ce qui a été affirmé par la majorité du Tribunal Arbitral, la considération d’un éventuel déni de justice allégué par les Demanderesses concerne le présent Tribunal Arbitral. » (para. 11 opinion dissidente).

De leur côté les arbitres majoritaires ont affirmé que « [s]i un tribunal CIRDI peut avoir compétence pour décider d’un déni de justice, celui-ci doit être prouvé et être attribuable à la Défenderesse. (…) Ce n’est pas parce qu’un prétendu déni de justice a été commis par l’annulation de la sentence CCJA, que ce Tribunal arbitral peut étendre sa compétence à des matières que les Parties, par leur accord contraire, ont exclues de la compétence des tribunaux CIRDI ». (para.348 sentence).

III. La réparation due au titre de la condamnation

Après avoir conclu à la violation du Code des investissements et des standards minimaux du droit international par la République de Guinée, le tribunal s’est attaché à délimiter la réparation due à Getma. Le risque de double réparation du même préjudice avait été déjà pris en compte par le tribunal lors de la discussion sur sa compétence complémentaire « (…) Le fait que les compétences parallèles puissent mener à un double recouvrement de dommages, n’empêche pas que chaque juridiction sera appelée à exercer sa propre compétence. C’est dans le traitement du fond et en particulier au moment de la vérification de la preuve du dommage, que le double recouvrement devra être évité » (para.108 sentence). Le tribunal a ainsi conditionné une part de la réparation à deux conditions : 1) que les Demanderesses n’aient pas préalablement recouvert le montant en question pour le même préjudice sur la base de la sentence CCJA (qui pourrait trouver à s’appliquer dans certains ordres juridictionnels malgré son annulation devant la CCJA) 2) que les Demanderesses renoncent pour l’avenir à leur titre pour ledit montant de la sentence CCJA.

La sentence CIRDI du 16 août 2016, retient l’attention sur deux aspects : D’une part, elle a été rendue par un tribunal CIRDI en tenant compte de la procédure arbitrale qui s’était déroulée devant la CCJA. Cette manière de procéder fait apparaître une forme de collaboration positive entre les juridictions arbitrales. D’autre part, elle permet fortement d’affirmer, s’il en était encore besoin l’internationalité de l’arbitrage CCJA.

Marion Malchair
Juriste, Doctorante en droit privé
Université de Lorraine
Membre de l’APAA

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